J’attends ma mort, dans la misère complète et l’oubli le plus total. Misère pécuniaire mais aussi mentale, la chose la plus terrible qui puisse arriver à un ours comme moi.
Ce ne fût pas toujours le cas. Je veux dire, avant, j’avais un travail, un vrai, passionnant. Une réelle vocation. Et un esprit à toute épreuve. J’étais heureux, somme toute. Loin de moi l’idée d’un jour en arriver là. Mon travail, c’était ma vie, jamais je n’aurais soupçonné un instant devoir y renoncer. Je suis né dans ce milieu, j’y ai grandi, je m’y suis donné corps et âme.
J’avais fière allure avec mon costume de scène. J’étais Mr loyale dans un cirque dont j’étais le directeur. Je présentais les numéros sur scène le soir et dirigeais ma centaine d’employés de main de maître toute la journée. Les étoiles, elles étaient aussi bien autours de moi qu'en moi. Mes yeux brillaient, mon cœurs'enflammait lorsque j’annonçais les numéros exceptionnels que nous présentions au public.
Notre cirque était un des plus beaux. Nous parcourions le monde, ce qui avait certains avantages : nos tournées étaient longues, ce qui permettait à mes employés de faire évoluer et peaufiner chacun de leur numéro jusqu’au moindre détail.
Ensuite, je pouvais engager des artistes du monde entier, avec des tours incroyables. Je dénichais tout ce qui n’avait jamais été fait avant. Nous faisions guichet clos tous les soirs. Les affaires marchaient bien, très bien même. Et nous faisions le bonheur des petits et des grands.
Nos numéros étaient nombreux et variés. Cela allait du traditionnel spectacle de nos clowns Cane et Gatto à la haute voltige en trapèze ou sur un mat flexible, en passant par les numéros de dressage d’humains : de l’agilité avec des hommes qui passaient dans des tuyaux, sautaient d’un mat à un autre, marchaient sur un fil, le tout sous le simple claquement de doigt de notre dresseur, Edgar Kaplan, les fameux tours de piste des petits humains sur le dos d’autres humains de taille plus conventionnelle, dirigés par John Horse et le clou du spectacle, la démonstration de force de Nikolaï, un humain de taille gigantesque dressé par Mr Olifant. Pour la sécurité de tous, nous devions exécuter ses numéros dans une cage de la taille de la piste. Il avait un collier en fer forgé que nous ne détachions qu’une fois à l’intérieur, les portes fermées à double tours.
Il pouvait soulever des masses énormes, plier des barres d’acier, et porter d’une seule main d’autres humains.
Les foules se déplaçaient pour venir nous voir, au quatre coins du monde. J’étais le plus heureux des animaux.
Et puis, petit à petit, les choses ont changé. Certains spectateurs ont commencé à ternir le monde du cirque en dénonçant les soi-disant conditions déplorables des humains qui étaient utilisés dans notre milieu. Ils trouvaient inanimal de laisser vivre des hommes en cage à longueur d’année. Mais, c’était leur façon de vivre ! Ils étaient habitués à cela. Ils avaient été élevé de cette manière et pour ça. Ils étaient bien plus heureux avec nous, sûrs d'avoir leur ration journalière, que dans la nature à devoir se battre pour trouver un reste de repas. Et puis, ils n’étaient pas en cage à longueur de journée, mais seulement pendant les voyages. Le reste du temps, ils étaient attaché à l’air libre dans des espace adaptés. Ils ne semblaient pas s’en plaindre.
C’est même allé jusqu’à parler de maltraitance, ce qui était évidemment faux. Du moins, dans mon cirque. Je ne sais pas comment cela se passait chez les autres.
De fil en aiguille, cela à pris de l’ampleur. Les associations de défense des humains s’en sont mêlées. Une première plainte à été faite envers un cirque « concurrent » (dans notre milieu, il n’y avait pas vraiment de concurrence, nous étions une grande famille, un peu comme les animaux du voyage), une plainte donc, pour maltraitance humaine.
Cela à ouvert les portes à tout un tas d’autres affaires du même genre, devenant de plus en plus sérieuses.
Cela à pris des années. Mais je sentais doucement les mentalités changer. Même notre public était de moins en moins réceptif. Puis, un soir, un premier siège est resté vide durant le spectacle, ce qui ne nous était jamais arrivé. J’étais effondré. Mes employés, amis de longue date, ont tenté ce soir-là de me remonter le moral. Mais c’est là que j’ai compris que le mal était fait, que rien ne sera jamais plus pareil. Et j’avais vu juste.
Deux, trois, cinq, dix, puis vingt sièges sont restés vides et durant les 2 années qui ont suivi, jusqu’à la moitié de notre capacité. Nous ne jouions désormais plus chaque soir mais 3 ou 4 fois par semaine pour limiter les pertes.
Un semblant de bonheur, mais de courte durée. Le jour le plus noir de ma vie est arrivé lorsque une loi interdisant les humains dans les cirques a été votée. Les associations de défense des humains jubilaient. Elles avaient gagné. Elles étaient arrivées à leurs fins. Et elles avaient signé la mienne par la même occasion. La mienne mais également celle de ma petite cinquantaine d’employés restante.
Beaucoup étaient parti bien avant que le navire ne sombre définitivement. Non pas qu’ils avaient senti le vent tourner avant moi, je savais que ce jour viendrais. Mais j’espérais sincèrement que les choses allaient changer, que le spectacle allait reprendre. Je ne voulais pas croire que mon cirque, ma vie, allait sombrer pour une simple histoire d’humains en cage. C’était mon utopie. Malgré les avertissements, je continuais à y croire. Je me suis menti à moi-même pendant près de dix ans. Et cela m’a été fatal.
Après avoir continué le spectacle en piochant dans mes resserves financières et morales, j’ai du, un jour d’automne, me rendre à l’évidence : mon cirque n’avait plus de raison d’être.
J’ai du vendre mon matériel une bouchée de pain, aux enchères, pour me permettre d’essuyer quelques dettes contractées sur les fins pour maintenir un semblant de bonheur sous mon chapiteau.
J’étais fini, moi qui étais né et avais grandi dans ce milieu, mes parents avant moi, mes grands-parents et ce depuis des générations, j’étais celui qui connaîtrait la fin du cirque.
Inutile de vous dire que je l’ai très mal vécu. Pourtant, je puis vous l’assurer sur mon honneur : aucun humain n’a jamais été maltraité sous mes ordres. Il était de mon devoir d’assurer une vie heureuse aux hommes que nous utilisions dans mon chapiteau.
Dès qu’un des mes employé portait la main sur un humain, je le licenciais illico. J’étais comme cela. Ces hommes nous permettaient d’offrir un spectacle de qualité reconnu internationalement et de ce fait faisait mon bonheur, puisque celui de nos spectateur et accessoirement ils nous permettaient de gagner notre nourriture quotidienne. La moindre des choses était de les respecter et traiter comme nos égaux.
Toujours est-il qu’actuellement, j’en suis là, dans cette bicoque trouée au plafond.
Mais là n’est pas l’essentiel.
Je meurs mentalement à petit feu et je sens ma fin proche. La fin de mon cirque à signé la fin de ma vie. J’ai le cœur aussi noir que la nuit la plus sombre ayant jamais existé. Je pars lentement mais inévitablement. Mon esprit est aussi vide que mon cirque. Plus rien n’existe à mes yeux. Je veux retourner vivre sur la route, dans ma roulotte, parcourir le monde pour présenter mon spectacle exceptionnel du temps jadis et entendre rire la foule, admirer les étoiles dans leurs yeux et les voir applaudir à se rompre les pattes pendants des minutes entières dès que la lumière de la piste s’éteint, les entendre bisser à en perdre la voix. Tous cela ne fait désormais plus partie que du passé.
Je suis déjà mort, quelque part.
Ai-je eu une vie exemplaire ?
Fin.
#uneimageuntexte est un challenge amateur permettant aux auteurs en herbe d’écrire leurs propres petites histoires.
Le principe est simple : une image choisie et postée par le maître du challenge sert d’inspiration aux participants qui imaginent une histoire de 2000 mots maximum dans le style, le genre et l’esthétisme de leur choix. Tout est possible, la seule limite étant l’imagination !
À la fin du challenge, le maître choisi parmi les textes participants celui qu’il préfère personnellement et déclare son auteur vainqueur.
Le vainqueur devient le nouveau maître du challenge et choisi, à son tour, une image de son choix qui servira d’inspiration pour le challenge suivant.
Poste principale de ce deuxième challenge. N'hésitez pas à aller y faire un tour!
Une histoire émouvante qui rappelle l'âge d'or du cirque, et sa magie lorsque nous étions enfants , maus aussi le triste constat qui arrive dans les coulisses.
Merci pour ce récit qui nous prend au coeur !
Merci à toi pour ton commentaire et avis!
Très jolie histoire qui prête à réflexion. Merci de l'avoir partagée avec nous.
Allez, encore un kleenex pour moi, siou plé ! Comme dit Ofildutemps, dans la trame de ton écrit, une certaine injustice est dénoncée... Celle des animaux utilisés pour enrichir certains ou celle des fermetures des cirques, à réfléchir. Il aurait fallu interviewer les humains exploités dans le cirque de ce vieil ours pour enfin, connaitre la vérité. Mais voilà, on a loupé le coche : On ne saura jamais...
En tout cas, sublimement écrit ! Ofildutemps aura du mal à choisir le gagnant, hé!hé! Elle aura qq céphalées !
Merci!
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