Au moment où l’on s’apprête à unifier les différents régimes de sécurité sociale et de retraites de tous les salariés français, il me semble bon de vous conter l’histoire d’une caisse de retraite et de prévoyance qui n’a pas attendu la création de la sécurité sociale française pour exister.
Je veux vous parler de la Caisse de Retraite et de Prévoyance des Clercs et Employés du Notaires dénommée CRPCEN.
En effet, les clercs de notaires sont affiliés à une caisse de sécurité sociale privée ne dépendant pas du régime général.
Tout d’abord, il est peut-être bon de vous préciser ce qu’est un clerc de notaire.
Ne vous inquiétez pas, je serai bref et me contenterai des généralités.
Tout d’abord, la plus part des notaires ont été clercs à leur début.
Le clerc de notaire est un juriste de formation qui assiste le notaire dans l’étude des dossiers, procède à la réception de la clientèle et à la rédaction des actes qui en découlent et parfois à leur réception.
On se contentera de cette définition très succincte pour se recentrer sur le sujet qui nous occupe, de la protection sociale des clercs de notaires.
Un peu d’histoire :
Au début du XX e siècle, la condition des clercs de notaires n'avait que peu évolué par rapport au début du XIXe siècle. Pour ceux qui ont lu Honoré de Balzac, lui-même clerc de notaire, la réalité était très voisine. Il ne garde d’ailleurs pas un t rès bon souvenir de la profession.
N’écrivait-il pas :
« Le notaire offre l’étrange phénomène des trois incarnations de l’insecte ; mais au rebours : il a commencé par être brillant papillon, il finit par être une larve enveloppée de son suaire et qui, par malheur, a de la mémoire. Cette horrible transformation d’un clerc joyeux, gabeur, rusé, fin, spirituel, goguenard, en notaire » (BALZAC, Honoré de (1799-1850) : Le Notaire (1840).)
Soumis au mêmes obligations que leurs employeurs sans en avoir les revenus (cela n’a d’ailleurs pas tellement changé), ils ne disposaient à cette époque d'aucun statut particulier ni d'avantages liés à leur charge.
Dans certaines études, ils bénéficiaient du paternalisme bienveillant de leur notaire. Mais dans d'autres, ils ne disposaient d'aucune protection face aux principaux risques de l'existence. Cela engendrait des différences de traitement entre clercs, et nombreux étaient ceux qui se retrouvaient dans le dénuement le plus complet à l'âge de la vieillesse ou à cause de la maladie.
Une première organisation interprofessionnelle se mis en place et une société de secours mutuels fut créée en 1901.
Ce sera le premier acte de la solidarité professionnelle naissante.
Un homme, clerc de notaire, voudra généraliser cette protection sociale, en la rendant obligatoire par l'affiliation et en recherchant une solution de financement pérenne.
Il se nommait Abel Delcloy.
Président en 1922 du syndicat de la Seine, il crée en 1926 la Fédération des clercs de notaire, dont l'un des objectifs principaux était la création d'une caisse de retraite et de prévoyance obligatoire pour tous les ressortissants du Notariat.
Homme visionnaire, il consacra toute sa vie à la création de la CRPCEN.
Abel Delcloy poursuit sans relâche, auprès de l'Association Nationale des Notaires (ancêtre du Conseil Supérieur du Notariat), et de la Chambre des députés, son action pour la création d'une Caisse de Retraite pour le Notariat, garantissant un revenu de remplacement acceptable pour tous les travailleurs âgés du notariat.
En 1930, alors que le Parlement adopte une loi importante sur les assurances sociales, la création d'une caisse de retraite pour les clercs de notaires est en passe d'aboutir, avec le vote par la Chambre des députés d'une proposition de loi du député de Haute-Savoie socialiste Antonelli.
L’allocution du député Antonelli sur la précarité de la condition des clercs de notaires de l'époque est éloquente :
«Les clercs de notaires et employés des études sont environ 21 000 en France. Leurs salaires sont, en général, les plus bas qu'on puisse imaginer chez les travailleurs intellectuels. À la différence des notaires, ils n'ont aucun statut tout en étant astreints aux mêmes règles sévères sans avoir aucun des avantages qui en constituent la contrepartie. Dès lors, il est normal et légitime que ces parents pauvres de la profession, qui apportent un large tribut au fonctionnement du service public dont ils dépendent, soient détachés de la masse des autres salariés, et traités à part.»
Toutefois, le dépôt d'un contre-projet par le Gouvernement à l'initiative de l'Association Nationale des Notaires aboutit au blocage de la proposition par le Sénat, ce qui retarde la naissance de la Caisse.
Il faudra attendre encore 7 années, pour que le dossier aboutisse.
La loi est promulguée le 12 juillet 1937.
Entre temps, Abel Delcloy est décédé en novembre 1934, ne voyant pas l’aboutissement de son œuvre.
Le 20 mai 1940, le conseil d'administration inaugure le siège de la Caisse, 2, rue Danton à Paris. Au cours des quatre années qui suivront, malgré l'occupation, les cotisations sont prélevées et les premières pensions sont réglées.
À la Libération, la Sécurité Sociale pour tous les salariés est créée (ordonnance du 4 octobre 1945) soit 8 ans après la CRPCEN.
La particularité du financement du régime :
L’originalité du régime réside principalement sur son mode de financement qui l’a rendu autonome et pérenne.
En plus des cotisations prélevées sur les salaires, la proposition de loi de 1930 avait prévu une taxe sur les honoraires proportionnels prélevés sur tous les actes notariés.
Cette taxe représente la contribution de la clientèle des études au financement de la protection sociale du Notariat. Ce financement original, en plus des cotisations sociales, abonde le régime d’une cotisation «pour tous les notaires en exercice égale au produit de 4 centimes additionnels aux honoraires proportionnels fixés par les textes législatifs ou réglementaires en vigueur» (article 3, 2°).
Cette idée n'est pas étrangère au succès et à la prospérité de la Caisse.
Cette taxe qui est aujourd’hui de 4 % des honoraires, dont l'assiette est en quelque sorte indexée sur le chiffre d'affaires du notariat, constitue un moyen de financement dynamique quasiment indolore pour la profession.
A l'heure où les régimes spéciaux sont montrés du doigt, il faut préciser que ce régime particulier fonctionne sans subvention de l’État et est totalement auto financé par la profession.
Cela est dû également à une gestion patrimoniale rigoureuse de la caisse qui est gérée de façon paritaire entre les salariés et les notaires, chacun y trouvant son intérêt :
Les notaires, en ayant plus de facilité à recruter du personnel en proposant une régime social intéressant à défaut de salaires attractifs.
Les salariés, en bénéficiant de ce régime préférentiel plus intéressant sur certains points.
Ce fonctionnement particulier sera certainement emporté par le vent de l’unification des régimes.
Il est à douter que les notaires accepteront toujours de contribuer à hauteur de 4 % de leur chiffre d’affaire à la solidarité sociale. 4 % d’ailleurs, payé par la clientèle et non par les notaires qui en sont que les collecteurs.
Les clercs de notaires viendront grossir les bénéficiaires du régime général en perdant à coup sûr quelques avantages.
Il ne sera fait de différences entre les régimes particuliers existants, qu’ils soient équilibrés et les déficitaires.
Il est certain qu’il n’y aura pas de gagnant, régime particulier, comme régime général.
Au fait. Les députés qui voteront cette Loi mettront-ils leur régime dans le pot commun également ?
Merci pour cet excellent article !
Par contre si il est possible que le gouvernement touche au régime des clercs de notaires, Je les vois mal par contre s'attaquer au régime local d'Alsace-Moselle. Ce serait plutôt risqué politiquement surtout que les gens du coin n'ont pas encore digéré le "Grand Est".
Du coup ce sera peut être le seul régime particulier subsistant. Heureusement, il est à l'équilibre. Mais ce serait vraiment dommage qu'une institution efficace comme le CRPCEN disparaisse.