Lundi et Soleil

Avant propos:

J'ai été demandé par @ixindamix . Merci de m'avoir nommé dans ton texte.
Voici le résultat d'un petit jeu que ma proposé à la blague l'une des membres des @philodendron . J'espère que le résultat vous plaira.

Je suis un peu étourdi, sonné. Comme si un truck m’était passé sur le corps. Je ne sais pas où je suis. C’est très éclairé, c’est beau. C’est étrange : autant j’ai l’impression qu’un truck m’est passé sur le corps, autant ça fait longtemps que je ne me suis pas senti aussi jeune. Je regarde mes mains et mes bras. Mes poils blancs ont disparu. J’en avais pas tant que ça, mais c’est étrange pareil.

Un très jeune homme est maintenant assis à côté de moi. Il est sorti de nulle part. En fait, j’ai l’impression qu’il est apparu tel un pop-up intrusif sur un site de streaming. Il me regarde. « Toi, sais-tu où l’on est? » que je lui demande. « Je pense que toi-même tu sais » qu’il me répond. Tu parles d’une réponse de merde. Je le regarde incrédule. J’ai vraiment une tête de poisson avec la bouche ouverte. « Quels sont tes derniers souvenirs? » qu’il me demande à moi et à ma gueule de truite sortie de l’eau. Je fais des efforts de mémoire. « Je me souviens d’un dimanche avec ma femme et ma fille » que je lui réponds sans savoir pourquoi j’obtempère à la demande d’un jeune à peine sortit de l’adolescence. « Raconte-moi tout à partir de là », qu’il me dit tel un petit prince qui me demande de dessiner un mouton. « Et bien, ce dimanche-là a commencé normalement. Je suis allé à l’église avec ma femme et ma fille. C’était vraiment plate. La météo était moche, la pluie faisait fondre la neige. À la radio, à la télé pis dans nos notifications de cellulaire, on entendait parler juste d’inondations. Notre ville n’était pas touchée. Malgré le temps de merde, j’ai passé une belle journée avec Adèle et Delphine. On a fait plein d’activité de petite famille cute avec notre fille de cinq ans. On a préparé des biscuits que l’on a apportés devant la télé avec ben du café pour les grands et du lait pour la petite. On s’est fait un marathon de film familial. Pour passer le temps, moi et ma femme on jouait à un jeu : quand on entendait une phrase à double sens dans les films pour enfant on prenait une gorgée de café. Delphine nous suivait sans comprendre » que j’explique.

C’est pas mal de ça que je me souviens. « Te souviens-tu d’autre chose? » insiste le jeune homme. Je fouille dans ma vieille tête. « Ben, je me suis fait réveiller en sursaut par mon téléphone. C’était la patronne qui me faisait remarquer qu’il était 11 h et que je n’étais pas à la job. Assis tout croche sur le divan, mon café devenu frette sur la petite table du salon, j’ai compris. “Fuck, je me suis rendormie” que je me suis dit. Fais que là, je suis partie sur une chire. L’avantage de se lever en retard, c’est qu’il n’y a pas de trafic. Pis en plus, il faisait soleil. C’est chiant de ne pas en profiter, mais la conduite allait être facile » que je dis avant de me faire couper par le jeune. « Pis, sais-tu pourquoi tu t’es rendormi ce matin? » dit-il. Je le regarde avec le sourire. « Delphine s’est endormie tôt hier. Ça fait tout le temps ça quand il pleut. Ça n’a pas été le cas de moi et Adèle. On s’est permis des choses que l’on ne faisait plus depuis un moment. Ça me faisait du bien de l’entendre. Je ne pensais pas avoir encore autant de vigueur à mon âge et être capable de recommencer dans la même nuit » que je dis. « Fuck! Je suis en train de raconter ça à un inconnu » que j’ajoute. Il me sourit. « Est-ce que tu te souviens de ce qui s’est passé juste avant que tu arrives ici? » demande-t-il. « Ben, comme je te disais avant que tu me coupes, il faisait beau, c’était lundi et j’étais dans la merde. J’ai pris mon char et je suis partie à toute vitesse pour me rendre à la job. J’ai passé par le tunnel Ville-Marie. Je n’ai pas pensé ouvrir mes lumières, j’étais pressé. Quand je suis sorti de là, j’ai été aveuglé par la lumière du soleil du printemps. Je n’ai même pas ralenti. La dernière chose que je me souviens d’avoir vue, c’est le derrière d’un truck arrêté dans le trafic. Je te dis que c’était pas mal moins beau que le cul de ma femme. Pis après, ben je me suis mis à courir comme un con après un soleil. Pis là, je suis ici. » « Commences-tu à comprendre? » qu’il me demande.

J’ai un motton dans la gorge. Il n’y aura plus jamais de dimanche avec la famille, plus jamais de folle nuit avec ma femme. « J’imagine que tu es un genre d’ange psychologue qui est là pour annoncer aux gens qu’ils sont morts avant qu’ils voient Saint-Pierre » que je dis. « Moi, je suis une âme en attente. Ça fait à peine quelques minutes que c’est confirmé. La connexion vient de se produire. On m’a dit que si tout se passe bien, dans 8 mois et 24 jours je serai sur terre accompagné d’une gentille maman et d’une grande sœur malcommode. Et puis, comme il n’y a pas de personnel supplémentaire pour gérer le surplus de morts causé par la surpopulation mondiale, il y a une grande file d’attente dans le traitement des âmes. Tu es pris ici pour plusieurs mois. J’ai donc demandé une petite faveur. J’ai demandé à attendre avec toi. Sinon, j’allais être obligé d’attendre minimalement 76 ans, 3 mois et 4 jours pour te rencontrer. Puis, à cela allait s’ajouter le temps d’attente du traitement des âmes. Il prévoit des files d’attente monstre de 10 ans et même plus à cause du surplus de morts causé par la sixième extinction de masse », qu’il explique. Je regarde le flo attentivement. « Tu es mon fils, c’est ça? » « Merci papa de m’avoir donné la vie. »