Pis ta blonde, elle te le fait comme ceci ou comme cela?

in #fr7 years ago (edited)

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C’était la question posée dans un sketch humoristique présenté lors des matinées "Samedi de rire" qui passait au canal #26. En fait, la question était pas mal plus crue que ça, plus précise que ça. Peu importe la position décrite, ce qui a marqué mes oreilles d’enfant dans la question, « pis, ta blonde, elle te le fait comme ceci ou comme cela? », c’est qu’il n’y a pas de vrai choix pour la blonde. Ta blonde te le fait…

Si ce n’avait pas été que pour un sketch, la petite fille de 7 ans que j’étais n’aurait juste pas compris une blague, mais non.

Même si je ne comprenais pas les mots à caractère sexuel, j’ai quand même compris deux éléments dans la question : « ta blonde » « te le fais ». Je me souviens que comme je ne comprenais pas les allusions sexuelles, j’ai juste pitonné vers un autre poste. J’appuyais sur la flèche du haut de la télécommande. Je voulais me rendre au canal #34 pour voir les dessins animés. En passant, je tombe sur le poste #30 où joue du rap américain. Je vois des filles danser autour d’un chanteur. Elles ont l’aire d’être les blondes qui te le font comme cela. Je ne sais pas ce que ça veut dire, j’ai 7 ans. Je continue mon chemin, appuyant encore et encore sur la flèche du haut. Je finis par arriver au poste #34. Là-bas, les pubs m’apprenaient que maman faisait la vaisselle et lavait le plancher pendant que papa lisait le journal. Si un papa transgressait gentiment cette règle, c’était dans une mise en scène digne du film " Le sapin a des boules ".

Ouais, si ce n’avait été qu'à la télé, mais non.

J’ai grandi dans ce monde où je devais être une blonde qui te le fait. Au secondaire, la curiosité et le désir de respecter les normes sociales me poussent à comprendre les mots qui sont tombés dans mes oreilles de fillette par inadvertance un samedi matin. Je devais savoir ce que je devais faire. Je demande à Google comment « ta blonde te le fait ». Là, j’ai compris, et j’ai eu peur. J’étais dégoutée et tourmentée. Quand j’ai vu comment faire, comment ça se passait selon internet, je n’étais pas prête, pas du tout. J’aurais voulu que la question de départ soit : ta blonde te le fais-tu? Malheureusement la question était : le fait-elle comme ceci ou cela? J’ai compris sur internet que « comme cela » c’était mieux. Pour moi, c’était pire.

Si ça n’avait été que les vidéos vues trop jeunes sur un site XXX près de chez vous, mais non.

Il y avait comme une pression sociale à l’école. Dans les paroles de mes paires (filles et garçons), les filles devaient te le faire et faire d’autres affaires aussi. J’entends Gagnon dire : « je l’ai tellement défoncé ». Ça, c’est loin d’être la pire que j’ai entendu. Moi qui croyais que ça prenait un mandat d’arrêt pour défoncer une porte. Sérieux Gagnon, la prochaine fois, demande la clé s’il te plait.

Cette phrases-là s’ajoute au sketch, aux blagues de mononcle, aux pubs, aux pages Facebook pour ado et à tout ce que j’entendais sur le sexe hétéro.

Vraiment, je vous le dis, l’orientation sexuelle n’est pas un choix pour que les filles ne virent pas lesbienne.

Au moment où je pense à ça, y’a Gagon qui me crie un " compliment ". Peu importe lequel, c’était gratuit et dégradant pis il me passe par la tête la meilleure phrase anti-catcall de ma vie :

« Gagnon, tant qu’à me faire cruiser par un con comme toi, je vais me forcer pour devenir lesbienne. »

Ses chums de gars m’applaudissent. Gagnon a sa queue qui veut lui rentrer en dedans. En plus, je suis officiellement la petite lesbienne qui fait des répliques salées de mon école secondaire. Toutes des bonnes nouvelles pour la fille qui ne veut pas te le faire. Je me dis que tant que je ne ferai rien, je ne serai pas obligée de te le faire. J’avais vraiment peur du moment où j’assumerais d’être hétéro, du moment où un garçon me demanderait de lui faire et que je devrais lui faire comme cela.

Rendue au CÉGEP, j’ai perdu ma réputation de petite lesbienne. Je dois assumer mon hétérosexualité. C’est ainsi que j’arrive à mon 18e anniversaire et je me dis : « Fuck, j’ai maintenant 18 ans pis j’ai jamais rien faite ». Je me mets dans la tête que ce serait le temps que je devienne cruisable. Mais en fait, j’ai peur des gars qui me cruisent, ils me font penser à Gagnon, et a un autre qui a essayé de me rentrer dedans sans demander les clés. Mais un moment donné, il faut que je prenne possession de mes propres clés si je veux essayer ce sur quoi je fantasme. Je sais que je dois assumer le moment où on me demandera de faire comme ceci ou comme cela.

Je suis en train de penser à ça parce que ça vient d’arriver. Un gars m’a fait la demande qui me fait si peur. Ça fait déjà quelques semaines que je fréquente ce jeune homme. Il a été fin et même fin fin fin avec moi. On a déjà fait plein de choses, j’ai pu essayer ce qui me plaisait vraiment. Mais ce soir, il m’a demandé : « voudrais-tu me le faire? » Je me suis dit que je devais prendre ça comme un vaccin. Autant accepter de le faire pendant que la personne me demande les clés. Alors je me suis préparée physiquement et mentalement à faire ce qui m’était demandé. Je dis oui, je souris et j’essaie de me rappeler ce que Google m’a enseigné. Ça me dégoute. Je ne suis pas prête. Dans ma tête, je n’ai pas le choix. Pendant que je visualise, je l’embrasse le long du coup en descendant tranquillement. Et comme pour me donner du courage, je dépose mon front et mes yeux sur sa poitrine un long moment.

J’entends : « Non, ça, ça ne veut pas dire oui, ça veut dire gros colleux! » Avant que je n’aie le temps de réagir, il prend la douillette et m’enroule dedans. Je deviens un gros sushi géant qui reçoit un nombre incalculable de bisoux sur le front. Une fois fatiguée de faire le pic-bois distributeur d’affection, il me regarde dans les yeux et il me dit maladroitement : « Je ne sais pas ce qui se passe, mais c’est pas grave. Mais si tu veux m’expliquer, je suis là. Mais t’es pas obligé si tu veux pas. Pis il n’est pas obligé de s’être passé quelque chose. Mais s’il s’est passé quelque chose, j’aimerais comprendre. Mais t’es pas obligé… Mais, mais, je t’aime. » Et il a continué à faire le pic-bois distributeur de bisoux sur mon front.

Ouais, j’aimerais bien lui expliquer tout ce qui m’est passé par la tête. Mais je ne sais pas comment. En tout cas, je suis contente de sortir avec un pic-bois.

Dire que j’ai pu pensé que j’étais obligé…


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Je dédie ce texte à toutes mes ami.e.s et connaissances qui se sont confié.e.s à moi sur ce sujet (et un peu à moi-même aussi).

Sort:  

Tres courgeux de ta part. Bravo !

Qu'est-ce que j'ai fait de courageux selon toi?

Te dévoilé ainsi

Je ne suis pas sûr d'avoir compris toutes les subtilités de ce texte mais en tout cas c'est une histoire très touchante qui montre bien que la société est enfermée dans des stéréotypes dont il faut sortir.

Il y a beaucoup de subtilité culturel que j'ai ajouté mais en tout cas, tu as compris l'essentiel je crois :)

Mais... que font les ratons ?!?

A la fois métaphorique et assez franc du collier pour parler de sexualité... Upvoté à 100% !

Ton histoire est bien triste, je te comprend bien, on vis une époque ou tout devient de plus en plus débaucher.

Quand on vois les référencements des sites X ca fait froid dans le dos.

Être mêler à ça a l'âge de 7ans ca a du être traumatisant.

Merci d'avoir partager votre histoire.

Alors ,j'imagine que comme @kaliangel, je n'ai pas tout compris, mais comme tu le dis bien, je pense avoir compris l'essentiel :)

idem @lautre, à l'occassion si tu trouves le temps une version plus "française" :)

J'en prends bonne note, faudrait que je vois comment je peux faire ça.

J'aime ta façon de parler de l’enrôlement sexuel de notre société, à force d'entendre fais ci fais ça, nos questions sont de quoi ai-je envie moi? Sans trop savoir comment se le demander, à force de termes crus bien trop rependus et d'une sexualité banalisée.