À l'occasion de ses vœux à la presse le 3 janvier, Emmanuel Macron a annoncé un futur projet de loi pour lutter contre les fausses informations. Les motifs invoqués ? Lutter contre l'influence de pays étrangers et "protéger la démocratie". Mais n'y a-t-il pas d'autres raisons derrière cette annonce ? Décryptage...
Une loi qui vise les médias russes
Il ne faut pas être dupes, ce projet de loi vise principalement les médias russes, notamment RT et Sputnik. Ceux-ci sont accusés de faire de la propagande pour l'État russe. En mai 2017, alors qu'il recevait son homologue russe Vladimir Poutine à Versailles, Emmanuel Macron avait qualifié RT et Sputnik d'être des "organes d'influence et de propagande".
L'argument est assez simple et presque caricatural : "RT et Sputnik sont financés par Moscou, donc c'est de la propagande". Et pourtant, les gens qui utilisent cet argument ne semblent pas être dérangés par le fait que l'État français finance lui aussi des chaînes publiques de radio et de télévision. Rappelons que l'État français est le seul actionnaire de France Télévisions et de Radio France. Je vois déjà certains dire "oui mais c'est pas pareil, RT et Sputnik c'est des médias étrangers". Et bien rappelons que l'État français a aussi ses médias internationaux, en l'occurrence RFI (Radio France internationale) et France 24. Les opposants français aux médias russes trouvent ça parfaitement légitime de prendre des mesures contre les médias russes, mais si l'État russe faisait pareil vis-à-vis de RFI et France 24, quasiment tous les grands médias français crieraient à la censure et à l'autoritarisme. Comme on dit, "faites ce que je dis, pas ce que je fais"...
On voit beaucoup de critiques sur les médias russes "financés par le Kremlin", mais on voit beaucoup moins de critiques sur d'autres médias étrangers. D'autres pays ont leurs chaînes infos internationales, et ça ne semble pas déranger autant. Par exemple, les Allemands ont la Deutsche Welle, et les Britanniques ont BBC World News. Et pourtant, on ne ne voit pas grand monde accuser Deutsche Welle d'être de la "propagande allemande", ou la BBC d'être de la "propagande britannique" à l'international...
La version française de la chaîne chinoise CGTN est contrôlée par le groupe CCTV (China Central Television), qui appartient à la République populaire de Chine. CGTN est diffusée en France depuis plus de 10 ans et présente le point de vue chinois sur l'actualité, mais ça ne choque personne, malgré le fait que la RPC ait des positions différentes de celles de la France et des États-Unis sur des tas de sujets. Peut-être que l'audience de CGTN en France et dans les pays occidentaux est trop faible pour représenter une inquiétude. Ou peut-être que les médias français ne sont pas au courant qu'il y a d'autres chaînes infos étrangères que RT et Sputnik en France...
Deux poids, deux mesures : la mauvaise foi de Macron et des médias français et américains
Quand on voit Macron et les médias français critiquer à boulets rouges les médias russes, on se dit que c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité. Factuellement, Emmanuel Macron a bénéficié d'un soutien massif de la part des médias mainstream français avant, pendant et après la campagne présidentielle de 2017. Le candidat Macron a notamment eu le droit à beaucoup de couvertures et d'articles élogieux dans des magazines comme L'Express, Le Point ou Challenges.
Même le magazine Science et Avenir s'est mis à faire de la politique avec un dossier sur les scientifiques qui soutiennent Macron. C'est un exemple typique d'argument d'autorité : on prend quelques scientifiques connus et médiatiques, on les fait "débattre" avec un candidat et on leur fait dire pourquoi ils le soutiennent, et ça permet d'insinuer dans l'esprit des lecteurs que la majorité des scientifiques en France soutiennent Macron !
Les scientifiques comme argument d'autorité et comme argument de vente, c'est une technique bien connue dans le marketing. C'est pour ça qu'on voit souvent des "experts" en blouse blanche dans les pubs pour les produits d'hygiène et les produits ménagers : les gens se disent ainsi que c'est scientifique, et si c'est scientifique, c'est donc que le produit doit être bon.
Entre les deux tours de la présidentielle, de nombreux médias français ont clairement pris position pour Macron, alors qu'ils étaient censés restés neutres. La veille du premier tour, le journal Libération avait appelé à ne pas voter pour François Fillon ou Marine Le Pen. La veille du second tour, Libé' avait même ouvertement appelé à voter Macron, alors que la loi électorale interdit de faire campagne pour un candidat le samedi et le dimanche lors d'un scrutin...
Les médias français, européens et américains ne sont pas aussi exemplaires qu'ils le prétendent. En 2003, ils ont largement appuyé le discours de l'administration américaine à propos de prétendues armes de destruction massive en Irak (pays qui était même accusé d'avoir la 4ème armée du monde à l'époque). Cette propagande médiatique basée sur du vent a servi à pousser l'opinion publique américaine (et une partie de l'opinion publique européenne) à soutenir une ingérence militaire en Irak, le tout au nom de la "démocratie" et des "droits de l'Homme". En 1986, les médias officiels français ont affirmé que le nuage radioactif de Tchernobyl s'était arrêté aux frontières et avait contourné le pays. Pendant des semaines, des membres des autorités et d'agences scientifiques publiques ont délibérément menti aux téléspectateurs en minimisant les effets du nuage radioactif. Plus récemment, en 2016, pendant la campagne du référendum britannique sur l'appartenance à l'Union européenne, les médias français étaient pour la plupart sur une ligne anti-Brexit. Après le vote du 23 juin, ils ont affirmé que les Britanniques s'étaient rués sur Google pour chercher ce qu'était l'Union européenne. Selon les médias français, la question "Qu'est-ce que l'UE ?" était la deuxième plus populaire au Royaume-Uni dans les 24 heures suivant le scrutin. C'était évidemment faux. L'information avait été grossièrement (et volontairement) déformée. Il ne s'agissait pas de la deuxième recherche la plus populaire sur Google au Royaume-Uni, mais de la deuxième recherche la plus populaire à propos de l'Union européenne, nuance.
Fake news : un impact limité
Revenons plus spécifiquement sur le sujet des "fake news". Pendant et après la campagne présidentielle américaine de 2016, les médias mainstream n'ont pas arrêté de qualifier de "fake news" la plupart des informations "alternatives" qui n'était pas sur leur ligne éditoriale, c'est-à-dire une ligne anti-Trump et pro-Clinton. Après l'élection, les médias mainstream ont accusé les médias russes et les quelques médias américains pro-Trump d'avoir influencé l'issue du scrutin en répendant des "fake news", mais sans apporter de preuves solides dans la plupart des cas. Soyons clairs : il y a certainement eu des fake news répandues sur des sites pro-Trump, mais aussi sur des sites pro-Clinton. Mais leur impact a-t-il été vraiment significatif ?
D'après une étude réalisée par des chercheurs de l'Université de Princeton, de l'Université d'Exeter et du Dartmouth College, les "fake news" ont eu un impact superficiel sur le résultat de l'élection américaine. Pourtant, les médias occidentaux n'ont pas arrêté d'affirmer pendant des mois que ces "fake news" ont changé le cours de l'élection.
Alors, pourquoi certains veulent-ils autant lutter contre les "fake news" ? Probablement parce qu'ils ont des intérêts à défendre. Les médias publics ne sont pas indépendants, car ils sont contrôlés par des États. Du côté des médias privés, ce n'est pas vraiment mieux, puisque beaucoup d'entre eux appartiennent à des groupes industriels, bancaires ou financiers qui ont tout intérêt à défendre leurs propres intérêts politiques et économiques...
Les autres motivations derrière la future loi
Les médias mainstream français dominent largement le marché de l'information en France. Le développement de médias comme RT France et Sputnik France, ça signifie une nouvelle concurrence. Cependant, les parts de marché de RT et Sputnik à la radio et à la télévision sont assez faibles. Alors pourquoi ces deux médias font-ils aussi peur à leurs homologues français ? Peut-être à cause de leur succès sur Internet. Par exemple, sur YouTube, les chaînes du groupe RT sont très suivies.
L'autre aspect qui gêne, c'est aussi que c'est une concurrence qui a une ligne éditoriale différente des autres médias. RT et Sputnik ont une ligne éditoriale qui présente le point de vue russe. Oui, RT et Sputnik sont très peu critiques envers le pouvoir russe, tout comme Euronews est très peu critique envers les institutions européennes. Mais si vous avez regardé un peu les médias, vous avez remarqué qu'ils ont été très indulgents avec Macron en 2017, et beaucoup moins sympas avec François Fillon. En ce qui concerne la politique internationale, les médias français ont eu une ligne anti-Trump pendant la campagne présidentielle américaine de 2016, ils ont pris position contre le Brexit, et ils soutenu l'idée d'un changement de régime en Syrie, tandis que les médias russes ont eu des positions opposées. RT et Sputnik présentent une vision différente de celle des médias français, et ça, ça ne plaît pas à ces derniers.
Prenons un sujet de politique intérieure française, par exemple la réforme du droit du travail. Ce sujet ne sera pas présenté de la même façon dans Libé' ou L'Obs que dans Le Figaro ou L'Opinion. Libé' et L'Obs auront une vision plutôt à gauche, alors que Le Figaro et L'Opinion auront une vision plutôt à droite de la chose. Le fait ce que ces journaux soient de gauche ou de droite ne signifie pas qu'ils aient raison ou tort. C'est aux lecteurs de se faire un avis sur ce sujet. Et c'est la même chose avec les questions sociétales et les questions de politique étrangère. Dans un marché concurrentiel qui fonctionne bien, les lecteurs doivent avoir le choix entre différentes visions et différents. C'est tout simplement ce qu'on appelle le pluralisme des médias.
La loi proposée par Macron est dangereuse
Revenons maintenant sur le projet de loi annoncé par Macron. Les mesures proposées par le chef de l'État sont potentiellement dangereuses, et ce pour plusieurs raisons. Dangereuse parce qu'elle s'attaque au pluralisme et à la liberté de la presse.
Pour lutter contre l'influence étrangère, Macron veut imposer aux plateformes "des obligations de transparence accrues sur tous les contenus sponsorisés". Si un contenu est considéré comme étant une fausse nouvelle, une procédure judiciaire donnera la possibilité aux autorités de supprimer le contenu, de déréférencer le site voire même de bloquer l'accès à ce site. En gros : l'État risque de s'immiscer dans la politique des réseaux sociaux et des moteurs de recherche. Si vous dîtes un truc qui ne plaît pas au gouvernement, celui-ci aura théoriquement la possibilité de demander le déréférencement, le blocage voire la fermeture de votre site ou de votre page sur un réseau social...
Pour contrôler l'information, Macron veut renforcer les pouvoirs du CSA, y compris sur Internet. Sauf que le CSA est une autorité administrative qui n'est pas vraiment indépendante. Sur les 7 conseillers, 3 sont nommés par le président de l'Assemblée nationale, 3 par le président du Sénat, et le président du CSA est nommé par le Président de la République. Comme la majorité à l'Assemblée nationale, le gouvernement et le président de la République sont du même bord politique, ils sont donc en position de nommer des gens qui sont sur la même ligne politique qu'eux. Le contrôle de l'information serait donc confié à une entité administrative centralisée et non indépendante...
Une question qu'on peut se poser, c'est pourquoi faire une nouvelle loi ? Macron prétend vouloir lutter contre les "fausses informations". Mais il y a déjà une loi contre le délit de diffusion de fausses nouvelles, comme indiqué dans l'article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cependant celle-ci ne prend pas vraiment en compte les contenus sur Internet. Récemment, on a vu que le gouvernement a montré sa volonté d'étendre les pouvoirs du CSA sur Internet, par exemple pour soi-disant "protéger" les mineurs contre les contenus choquants, alors que c'est le rôle des parents et pas celui de l'État. Vous l'aurez compris, c'est encore un prétexte bidon pour tenter de justifier un contrôle étatique renforcé...
Mon avis sur la question
La lutte contre les "fake news" me semble être un faux prétexte pour permettre au gouvernement de s'attaquer un peu plus aux libertés sur Internet. Il est clair que la ligne éditoriale de certains médias étrangers dérange Macron (surtout qu'ils ne vont pas dans son sens) et une grosse partie des médias français... Le projet de loi annoncé par Macron semble être davantage lié à une volonté de protéger le quasi-monopole des gros médias français que d'une vraie volonté de lutter contre les fake news...
Les propositions d'extension des pouvoirs de l'État et du CSA sur Internet sont plutôt inquiétantes et rappellent les pratiques qui se font dans certains pays que la France critique souvent en leur disant qu'ils ne respectent pas assez les droits de l'Homme ou les principes démocratiques... Quand un gouvernement veut augmenter ses pouvoirs pour "protéger" les citoyens contre quelque chose, il y a souvent d'autres intentions derrière, et ça semble très clairement être le cas ici.
Ce n'est pas à une autorité administrative de décider si un contenu ou un point de vue est pertinent ou non. C'est aux lecteurs et aux téléspectateurs de se faire leur propre avis à partir de différentes sources d'informations. C'est pour ça que je vous conseille de consulter différentes médias pour avoir différents points de vues sur un sujet. Ainsi vous pouvez avoir un champ plus large d'arguments et pesez le pour et le contre sur ce sujet.
Ceci n'est pas un article pour ou contre les médias russes, mais un article pour la défense du pluralisme médiatique. De la propagande, il y en a dans tous les pays, y compris dans les démocraties. Très peu de médias sont vraiment indépendants. Tous les médias ont une ligne éditoriale, aucun n'est objectif à 100%. Il est donc nécessaire pour les lecteurs et les téléspectateurs de comparer les sources d'information, et surtout de faire preuve d'esprit critique !
On peut faire des reproches à RT et surtout à Sputnik. Ces deux médias ont bien sûr une ligne éditoriale favorable à la Russie. Mais après tout, cela ne vient-il pas contrebalancer la position plutôt hostile qu'ont les médias français vis-à-vis de la Russie, notamment sur les questions internationales ? Si de plus en plus de gens se mettent à suivre RT, ce n'est pas forcément parce qu'ils sont "pro-russes", mais peut-être parce que RT montre des points de vue qui ne sont pas assez mis en avant dans les médias français. Sur des questions comme le Brexit, la crise des migrants ou le conflit en Syrie, les médias français ont surtout montré le point de vue dominant dans la sphère médiatique parisienne. On en revient donc à la question du pluralisme... Si les médias français offraient davantage de diversité d'opinion et de points de vue, peut être que moins de gens se tourneraient vers des médias étrangers...
Il faut évidemment lutter contre les fake news et réclamer davantage de sérieux de la part des journalistes, quelque soit le média pour lequel ils travaillent. Mais faire des lois permettant à l'État de décider ce qui est juste ou pas, ça n'est clairement pas la solution. C'est la porte ouverte à d'éventuelles dérives et à une forme de censure, ou même d'autocensure. En France, certaines chaînes de radio et de télévision appartiennent à l'État. Si on regarde la presse privée, on peut voir que les journaux les plus connus reçoivent presque tous des subventions publiques. À partir de là, vous comprendrez donc que les médias n'ont pas intérêt à trop critiquer celui qui les finance...
Sources
https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0301099896848-macron-annonce-une-loi-contre-les-fausses-nouvelles-2142233.php
https://www.nextinpact.com/news/105910-emmanuel-macron-veut-legiferer-contre-fake-news.htm
http://www.20minutes.fr/medias/2076695-20170529-macron-russia-today-sputnik-organes-influence-propagande
http://www.20minutes.fr/societe/2196243-20180104-lutte-contre-fake-news-idee-emmanuel-macron-menace-liberte-expression
https://www.laquadrature.net/fr/macron_fake_news
https://www.tdg.ch/monde/L-impact-des-fake-news-serait-superficiel/story/18722941
http://www.bfmtv.com/international/sur-200-medias-americains-194-avaient-soutenu-hillary-clinton-1057376.html
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006419726&cidTexte=LEGITEXT000006070722
http://www.atlantico.fr/decryptage/fake-news-et-liberte-presse-inquietant-paradoxe-macron-3270159.html
https://www.challenges.fr/media/pourquoi-la-loi-d-emmanuel-macron-anti-fake-news-est-inutile-et-impossible_558122
C'est vrai que ce genre de mesure est assez inquiétante d'un point de vue des libertés d'exprimer son opinion. Le début d'un grand mouvement de censure étatique?
PS: je pense avoir repéré une petite erreur: il est écrit référencer au lieu de déréférencer dans le deuxième paragraphe de la partie La loi proposée par Macron est dangereuse
Merci, je viens de corriger ! ;-)
C'est un peu dommage. Je pense que l'article devient vraiment pertinent à partir de la seconde partie.
Le sujet est infiniment complexe. Il n'est pas tout à fait nouveau que le gouvernement a toujours eu une forme de mainmise sur le contenu médiatique. Ça c'est sans doute relâché avec Internet et c'est peut être por ça qu'il y a une recherche sur une forme de monopole maîtrisé de l'information.
Car l'information est une arme pour n'importe quel état.
Ce qui m'avait gêné durant l'élection, c'est la capacité de l'ext droite (militant compris) à gober n'importe quoi. Je pense que nous sommes totalement dépassé et que nous n'arrivons plus à traiter l'information avec le recul qui faudrait.
C'est aussi pour ça que je regarde de moins en moins les médias.
Tout n'est que manipulation programmée, en commençant par les élections, dans certain pays si le taux d'abstention est majoritaire on degage les candidats et on n en met d'autres, mais en france vu que le taux d'abstention n 'est pas pris en compte, on est menotté , obligé de choisir parmis tous c'est voleur...
que se soit la télé, les élections......tout est décidé a l'avance, il cherche juste a comment on faire passé la pilule.
Intéressant ! J'ai appris pas mal de choses ! Merci !