[FR] Revue de livre : "Pour une vraie concurrence des monnaies", de Friedrich Hayek

in #fr7 years ago (edited)

Avez-vous l'impression que les prix augmentent trop pour certains produits ou services ? Pensez-vous qu'il y a trop d'inflation ? Pensez-vous que les impôts et les taxes sont trop élevés ? Pensez-vous que l'État dépense mal l'argent dont il dispose ? Si oui à plusieurs de ces questions, c'est peut-être que vous pensez qu'il y a de gros problèmes avec la façon dont la monnaie est gérée dans le pays où vous vivez.

Je vais donc vous parler d'un livre très intéressant que j'ai lu en 2017 et qui devrait vous intéresser aussi. Ce livre, c'est "Pour une vraie concurrence des monnaies", du célèbre économiste Friedrich Hayek. La version française est éditée par les Presses Universitaires de France (PUF).


Quelques mots sur l'auteur

Friedrich A. Hayek (1899-1992) était un économiste autrichien, de tendance libérale et membre de l'École autrichienne (ou "école de Vienne"). Il a enseigné à la London School of Economics, à l'Université de Chicago et à l'Université de Fribourg-en-Brisgau.

Hayek est connu pour ses travaux sur la théorie de la monnaie et sa critique de l'interventionnisme étatique dans l'économie. Il a reçu le Prix Nobel d'économie en 1974 pour ses travaux sur la théorie de la conjecture.


Un constat : les dérives des politiques monétaires

Quand il y a une crise économique, les gouvernements sont souvent tentés d'injecter de l'argent dans l'économie pour relancer celle-ci. En 2008, plusieurs États sont intervenus pour recapitaliser certaines banques et leur éviter de faire faillite. En France, ces plans de sauvetage ont coûté 360 milliards d'euros. En Allemagne, 480 milliards d'euros. Mais pendant les crises, les États sont aussi tentés de faire des "plans de relance" pour montrer qu'ils agissent. Ces plans de relance consistent à injecter massivement de l'argent dans l'économie, notamment dans des secteurs en difficulté, avec pour objectif de "relancer la croissance". Certains secteurs de l'économie se retrouvent donc lourdement subventionnés en période de crise. Mais d'où vient tout cet argent ? Bonne question. Un des gros problèmes avec ces plans de relance, c'est que généralement, les États n'ont pas cet argent en réserve.

Pour financer leurs politiques économiques, les États ont plusieurs options. Réduire drastiquement leurs dépenses (ce qu'ils font rarement avant d'être au pied du mur), emprunter, augmenter les impôts ou les taxes ou produire davantage de monnaie. Et c'est souvent cette dernière "solution" qui est choisie. Pour financer les plans de relance, les banques centrales pratiquent la technique de la "planche à billets".

"Faire tourner la planche à billets", ça consiste en gros à augmenter la quantité de monnaie en circulation, par exemple par des rachats d'actifs, en baissant les taux d'intérêt ou en pratiquant un "assouplissement quantitatif". C'est par exemple ce qu'a fait la Banque centrale européenne pendant des années, avec des rachats massifs d'obligations et des taux d'intérêt très bas, parfois même négatifs.

En dehors de l'Europe, on voit aussi des dérives monétaires. Par exemple, en mars 2013, la Banque du Japon a annoncé vouloir doubler le nombre de yens en circulation sur une durée de deux ans, avec un objectif d'atteindre 2% d'inflation. Pendant ce temps-là, le yen a continué à se dévaluer, et la dette publique a continué d'augmenter.

Si les politiques monétaristes et les plans de relance permettent d'avoir un boost de l'économie à court terme, leurs conséquences sont visibles à moyen ou à long terme. Premièrement, comme la quantité de monnaie augmente, la monnaie à tendance à se dévaluer, c'est-à-dire à perdre de la valeur. Si une monnaie perd de la valeur, son pouvoir d'achat est moins important. Il faut donc davantage de cette monnaie pour acheter des biens et services : on a donc un phénomène d'inflation, c'est-à-dire une augmentation des prix. Mais si les prix augmentent, le pouvoir d'achat des particuliers et des entreprises risque de diminuer. Si la consommation et les investissements privés diminuent, l'État risque de toucher moins de recettes fiscales. Il devient alors nécessaire d'augmenter les salaires vers le haut. Mais ce n'est pas viable pour toutes les entreprises. D'une part parce que tous les secteurs ne sont pas aidés de la même façon, et d'autre part parce qu'il y a une concurrence internationale. Si le coût du travail, et plus largement les coûts de production augmentent dans un pays, les biens produits dans ce pays deviennent plus coûteux, et moins compétitifs à l'exportation !

Une fois qu'une crise est passée, il y a un autre problème : l'accumulation des dettes et des dépenses. Et là encore, les États choisissent souvent la facilité : augmenter les impôts et les taxes, ou produire encore de la monnaie pour financer les dépenses publiques et le "remboursement" de la dette. C'est par ces mécanismes que les États se retrouvent dans une situation où les dépenses et les dettes n'arrêtent pas d'augmenter.


Une proposition : des monnaies en concurrence

Pour faire face aux dérives des politiques monétaires, Hayek propose de retirer aux banques centrales le pouvoir d'émettre de la monnaie, mettant ainsi fin à leur monopole. Pour remplacer ou complémenter les monnaies étatiques, Hayek propose que les banques privées puissent émettre leurs propres monnaies, monnaies qui seraient en concurrence entre elles. Les particuliers et les entreprises auraient le choix de la monnaie qui leur convient le mieux pour différents types de transactions.

Mais si une banque centrale peut augmenter la quantité de monnaie en circulation, qu'est-ce qui empêcherait une banque privée de faire de même avec une monnaie privée. Réponse : la concurrence et la volonté de garder une monnaie qui a de la valeur. Si une banque augmentait trop la quantité de sa monnaie, celle-ci perdrait de la valeur, et les gens seraient tentés de l'échanger contre une monnaie mieux valorisée. Hayek se base sur l'hypothèse selon laquelle le grand public chercherait à garder une monnaie qui s'apprécie et qui reste stable dans le temps, alors que pour les entreprises, davantage de volatilité serait moins problématique.

Mais sans supprimer les monnaies étatiques, il est possible de mettre en concurrence les monnaies. Au début du livre, Hayek critique la volonté d'avoir une monnaie unique en Europe. Selon lui, il aurait été préférable de mettre en concurrence les différentes monnaies nationales, par exemple en permettant à une entreprise basée dans un pays de faire des transactions en francs, en marks allemands, en schillings autrichiens ou en lires italiennes. Cela aurait théoriquement incité les États à ne pas faire n'importe quoi avec leurs monnaies nationales, alors qu'avec une monnaie supranationale comme l'euro, on retrouve les mêmes dérives qu'avec les politiques monétaires des banques centrales nationales.


Le cas des cryptomonnaies

En lisant ce livre sur le concept de monnaies en concurrence, je me suis dit que l'idée défendue par Hayek dans les années 1970 était en train de se concrétiser... grâce aux cryptomonnaies. La plus connue d'entre elle, c'est bien sûr le Bitcoin. Le Bitcoin a été créé en 2008 en tant qu'alternative aux monnaies étatiques et au système bancaire. Petit à petit, la cryptomonnaie a conquis de nouveaux utilisateurs, et a vu sa valorisation grimper.

Mais le gros problème du Bitcoin, c'est que le réseau est saturé car il ne peut traiter que 300 000 transactions par jour. Par conséquent, les délais de validation s'allongent, et les frais de transaction augmentent. Le Bitcoin devient de moins en moins pratique et de moins en moins utilisable comme une monnaie. Face à cette situation, de plus en plus de gens se tournent vers d'autres cryptomonnaies plus rapides et moins coûteuses, par exemple l'Ether, le Litecoin ou le Dash. Si le Bitcoin n'évolue pas dans le bon sens, à terme, il pourrait être détrôné par une cryptomonnaie concurrente, ce qui vérifierait la théorie de Hayek.


Mon avis sur ce livre

J'ai trouvé le livre de Hayek très intéressant, et très bien argumenté. L'auteur explique très bien comment la politique monétaire des États et des banques centrales crée de l'inflation, et quelles sont les conséquences négatives sur l'économie et l'emploi. C'est un bon livre qui permet de mieux comprendre comment fonctionne la monnaie, mais surtout ce qu'est la monnaie. Il n'y a pas besoin d'avoir fait des études d'économie pour comprendre ce livre, il suffit de connaître quelques notions de bases et de s'intéresser un peu à l'actualité.

L'idée d'avoir des monnaies privées en concurrence pourra paraître saugrenue et inimaginable à beaucoup de gens. Pourquoi ? Parce que pour la majorité des gens, une "vraie" monnaie est forcément étatique (ou supra-étatique dans le cas de l'euro). Même chez la majorité des économistes qu'on voit dans les médias, on voit des critiques sur la politique des banques centrales, mais il est rare de voir quelqu'un se demander s'il est pertinent de laisser un quasi-monopole monétaire à des institutions aussi centralisées. Et quand on voit les politiques menées par la Fed ou la BCE, et leurs conséquences à long terme en termes d'inflation, d'emploi et de dette publique, il y a largement de quoi les critiquer. Une concurrence monétaire selon pour Hayek un moyen de garantir une meilleur stabilité financière.

L'auteur a pris soin dans son livre d'anticiper et de répondre aux critiques qui pourraient être faites de sa théorie, notamment sur les questions des créances et des dettes contractées dans une monnaie et éventuellement remboursables dans une autre. C'est assez compliqué à expliquer brièvement, donc je vous recommande de lire le livre pour avoir plus de détails sur ce sujet précis.

Une grande question qu'on pourrait se poser, c'est : est-ce que l'idée de Hayek est applicable ? Je pense que oui. Avec les cryptomonnaies, on voit émerger une forme de concurrence monétaire. Les utilisateurs ont le choix entre plusieurs cryptomonnaies. Quand le réseau Bitcoin est saturé et ralenti, on voit des gens se tourner vers des alternatives comme le Litecoin, l'Ether ou le Dash, que ça soit pour acheter des tokens lors d'ICO ou pour payer des services. Dans des pays comme le Zimbabwe et le Venezuela, la valeur des monnaies étatiques a fondu, et de plus en plus de gens se tournent vers des monnaies étrangères comme le dollar US ou l'euro, ou vers des cryptomonnaies privées comme le Bitcoin ou le Dash pour se protéger de l'inflation.

On a donc des exemples concrets de concurrence monétaire où les gens se débarrassent des mauvaises monnaies pour aller vers des monnaies qui s'apprécient davantage. Et sans surprise, de plus en plus d'États tentent de s'opposer à la perte de leur monopole monétaire par exemple en tentant de limiter l'usage de devises étrangères et de (crypto)monnaies privées. Et ça, c'était expliqué dans un livre de 1976 ! Décidément, Hayek était en avance sur son temps...


Sources










https://www.puf.com/content/Pour_une_vraie_concurrence_des_monnaies http://www.bbc.com/news/business-19706272 https://mises.org/library/hayeks-theory-money-and-cycles-retrospective-and-reappraisal-0 http://www.institut-entreprise.fr/sites/default/files/article_de_revue/docs/documents_internes/societal-75-12-drean-theorie.pdf https://www.wikiberal.org/wiki/Planche_%C3%A0_billets http://www.economiematin.fr/news-valeur-monnaie-prix-inflation-deflation-japon http://www.agefi.com/quotidien-agefi/forum-blogs/detail/edition/2016-01-13/article/yen-a-quoi-bon-aller-plus-loin-alors-que-les-exportations-ne-representent-que-16-du-produit-interieur-brut-du-pays-416420.html http://www.euronews.com/2017/12/13/venezuelans-turn-to-bitcoin-mining-to-purchase-basic-needs https://cointelegraph.com/news/venezuela-to-regulate-bitcoin-mining https://www.cnbc.com/2017/08/24/bitcoin-mining-is-popular-in-venezuela-because-of-hyperinflation.html

Sort:  

Les monnaies sont déjà en concurrences entre elles, et historiquement l'ont été en Europe.
Le cas présenté par l'auteur qui évoque des banques privées n'a pas été atteint, mais les banques centrales entre elles se font une concurrence forte.

Et le résultat c'est que ça a toujours participé à avantager certains au détriment d'autres.

Donc plusieurs remarques :
L'auteur ne parle vraiment t'il pas de concurrence entre les banques centrales ??
Comment l'auteur pense t'il qu'une concurrence entre banques privées qui peuvent émettre leur monnaie ne va pas avoir les même impacts societaux négatifs que quand ce sont les banques centrales qui font la même chose ?

Ou alors l'auteur est un pur ultralibéral dont la devise est Marche ou Crève, et dans ce cas il est cohérent avec sa posture...

Oui, Hayek est la personnification même du libéralisme total. C'est une des figures de proue du libéralisme économique. D'ailleurs les cryptomonnaies, en commençant par le bitcoin, sont le produit d'une philosophie anarchiste - et c'est là que ça devient intéressant car le libéralisme économique est une étape sur le chemin vers l'anarchie

Si Hayek avait vécu à notre époque il aurait adoré les crypto-monnaies ^^

Probablement. Je pense qu'il aurait été critique sur la possibilité de les utiliser comme monnaies usuelles, mais qu'il aurait apprécié le principe de décentralisation et de cryptomonnaies en concurrence.

Merci pour ta review, tu serais d'accord pour faire un échange de livres ? Tu passes au steem Auvergne ?

Ce livre a l'air très intéressant. Je le mets sur ma liste des livres à lire :)

Sans aucun doute, l'une des raisons qui m'ont poussées à me lancer dans la cryptomonnaie : mettre un terme à mon échelle à cette absurdité sur les monnaies fiat, sur le fait qu'elles sont basées sur des dettes et qu'un jour nous serons au pied du mur.

Merci pour ce partage :o)

Vos retours de lecture sont toujours aussi complète et intéressante ! Upvoté à 100% !

Upvoted ☝ Have a great day!

Beau sum up @lefactuoscope! Après par définition les devises sont déjà en concurrence entre elles. Et si tu laisses les banques émettre leurs propres monnaies comme tu le dis, comme elles veulent garder une monnaie forte, elles créeront peu monnaie nouvelle et là tu perds l'effet de relance par injection de nouvelles liquidités que souhaitent les banques centrales... J'avais mon mémoire de fin d'étude sur les taux d'intérêt négatifs et le programme de rachat d'actifs de la BCE, ça me donnera peut être de la matière pour un futur article ;)

Super ! Je vais le lire ! Merci !