J’ai appris la musique avec mes grands-parents, qui avaient la direction d’une école de musique qui s’appelait « les cours Massenet ». Mon père en était le professeur de violon et c’est tout naturellement que je fis mes débuts avec cet instrument à l’âge de 10 ans.
Pourtant mon père me dégoûta du violon de part ses exigences. Ma voie sera finalement celle du chant et de l’opéra.
A 18 ans, j’entre au conservatoire duquel je suis sortie avec 5 premiers prix, donnés par 9 directeurs de théâtre qui étaient au jury. A l’issu de ces concours j’eu 3 engagements, un pour l’opéra de Bordeaux, Avignon et Mulhouse.
Bien qu’habitant à Bordeaux, je choisis de partir pour Mulhouse afin de rompre le cordon ombilical. C’est en Alsace que ma vie artistique commença, par l’Opéra « Le trou vert » en Verdi (en italien bien sûr, alors que je ne parlais la langue, malgré des origines italiennes par mon père). J’étais aux côtés d’artistes internationaux, rien que ça pour la benjamine de 21 ans !
J’y restais pensionnaire, c’est-à-dire attachée à l’opéra de Mulhouse, puis Strasbourg. Plus tard, sachant voler de mes propres ailes, l’oiseau chantant s’envola.
Trains de nuit, avions, hôtels furent mon quotidien. Valises de costumes difficiles à soulever, rôles de premier plan, la passion me porta au firmament de cet art, où l’on ne pardonne pas grand chose, sauf l’excellence. La perfection me servit de maître à penser.
Toujours plus haut ; l’art se souffre pas de la médiocrité.
Combien de fois, en entrant sur scène, petit bout de femme de 21 ans et 45 kilos devant s’imposer devant un public parfois très exigeant, je me revis travaillant mon violon dans les vignes du château de mes grands-parents.
Entrer sur scène, c’est un véritable saut en parachute. Un stress immense, mais un stress positif. Puis un envol merveilleux soutenu par la musique et le texte. Pris par le rôle, toute la pression disparait et je me retrouvais coupée du monde, j’étais dans ma bulle. Je ne revenait à la réalité qu’à travers les applaudissements du public à la fin du spectacle.
Lorsqu’ils venaient chercher des autographes dans la loge, ils étaient étonnés de me trouver petite. Ils me disaient souvent : « on ne vous connait pas, mais on aimerait être votre ami ».
Quand le public m’entendaient, avec ce petit corps et cette voix puissante, ils se demandaient s’il n’y avait pas quelqu’un d’autre derrière moi pour chanter à ma place.
Dans mes débuts en Alsace, je chantais « la flute enchantée en allemand ». Les propriétaires de l’hôtel dans lequel j’étais descendue sont venus dans ma loge en me disant « Bravo Mademoiselle Decombe, j’ai tout compris ».
Et je leur répondis « Et bien pas moi »
Je ne parlais pas du tout allemand, mais je comprenais tout de même le sens, indispensable pour une bonne interprétation. La hantise du « trou » me terrorisait. En italien c’était plus facile, je pouvais glisser un mot en espagnol et tout le monde n’y voyait que du feu. Mais en allemand… Heureusement, je n’ai jamais eu de défaillance.
Le monde artistique n’est parfois qu’illusion. Après le spectacle des « Saltimbanque » que je jouais à l’Opéra de Nice, dans le rôle de Suzon, il avait une réception et un vin d’honneur à l’intention des artistes. Un petit garçon, émerveillé par cette magnifique Suzon (costumée, coiffée, maquillée), demande à sa maman « Mais… Où est Suzon ? ».
Elle lui répondit « Devant toi ! »
Evidemment, la-dite Suzon était démaquillée, prête prendre son train, avec un bonnet sur la tête, ne ressemblait plus du tout à la Suzon de la scène.
Et le petit garçon s’esclaffa « C’est ça ? »
J’éclatais de rire, et pour ne pas qu’il perde son regard émerveillé de la soirée, je lui fît visiter les coulisses du théâtre, les costumes, le maquillage, etc.
Quand le rideau tombe, la fête est finie. Les illusions s’évanouissent, et la réalité reprend son droit, sur ces moments de rêve qui nous font oublier nos soucis quotidiens. 3 heures d’émerveillement sur une soirée, c’est déjà ça de pris.
A propos d’illusions, lors de vacances passées à Ajaccio, le démon théâtrale m’habitant toujours, je décidais de monter le spectacle d’Antigone dans la mairie d’Ajaccio, avec la complicité du maire. Le lendemain du spectacle, je me promenais dans la montagne, en maillot de bain, pieds nus et démaquillée.
Je fût interpellés par un berger qui me dit :
« Ma petite dame, je suis allé au théâtre hier soir, et j’ai vu pour la première fois une pièce de théâtre : Antigone de Jean Anouilh. Ce fût un merveilleux spectacle en plein air, sous la voute étoilée. »
Et je fût face à un dilemme, soit lui dire que c’étais moi, ou le laisser à son rêve. Je préférais garder le silence, pour ne pas détruire l’idole aux pieds d’argile.
L’art est l’illusion qui rachète toutes les autres.
Une histoire personnelle assez touchante ! Merci pour ce témoignage ! Upvoté à 100% !
Ce texte est très émouvant, merci d'avoir partagé avec nous tes réflexions.