Je travaillais comme professeur d’économie au lycée Français d’Abidjan au début des années 1990. Les classes étaient très riches en terme de nationalités, si vous n’aviez pas plus de 10 pays différents représentés dans vos élèves ce n’était vraiment pas de chance. J’aimais beaucoup cette mixité, elle était réelle, sans faux semblant, au point d’avoir deux meilleurs amis, que j’aurais du proposer au prix Nobel de la paix, l’un Israélien l’autre Arabe je vous laisse deviner de quelle partie.
Fils de roi
J’avais dénoté une certaine fierté chez un de mes élèves Ivoirien. Pas une fierté désagréable, à la limite de l’arrogance ou de la prétention, non, juste une touche, difficile á cerner, quelque chose de différent. J’avais, à plusieurs occasions, engagé la conversation avec lui sans réussir à en percer le mystère. Les Africains disent souvent que « l’homme n’est pas bon dans sa propre bouche », comprenez qu’il n’est pas beau de parler de soit dans des termes élogieux, les amis, voire les griots (Beau parleur qui, entre autre, déclament les louanges pour un notable) sont là pour ça.
Au fil du temps, connaissant les uns et les autres, j’avais posé des questions aux amis de la classe, à défaut de griot. J’ai fini par savoir que mon énigme était fils d’un roi local auquel il succéderait un jour. Ma curiosité bien entendu ne se contenta pas de cette information. Qui était ce roi du XXème siècle qui envoyait son fils non pas à l’école de la brousse mais au lycée des blancs ? L’occasion de satisfaire cette curiosité me fût finalement offerte quelques mois plus tard. J’avais prévu un voyage dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et je fûts cordialement invité à passer au village et rencontrer le fameux roi.
Le village de sa majesté le roi
Quelques semaines plus tard, à l’entrée d’un village qui ne se différenciait en rien de ceux de la région, je demandais la direction de la maison du roi. Nous étions chez les Agnis, une ethnie de l’ouest du pays. Un jeune homme à qui nous avions demandé le chemin se proposa pour nous amener. Á quelques centaines de mètres nous garions notre R4 devant une maison propre, mais ordinaire.
J’avais pensé me garer plus loin, mon véhicule n’étant peut-être pas adapté à une visite royale, mais la nature peu palatiale des lieux m’a immédiatement rassurée. Mes quelques efforts vestimentaires avaient été réduit à néant par la poussière de la piste et l’humidité ambiante favorisant une transpiration abondante.
Je n’avais pas oublié le cadeau traditionnel, la bouteille de Gin si appréciée des chefs locaux serait bienvenue. L’épicier ma conseillé la bouteille verte qui, quoi qu’embarquant le même liquide que sa collège blanche, bénéficiait d’une image supérieure. Les Africains qui respectent leurs traditions ne vous reprocheront jamais de ne pas la connaitre mais seront toujours touchés par le moindre effort dans cette direction.
Mon élève nous accueillit avec enthousiasme, indemnisa notre pilote pour sa diligence avant que je puisse le faire. Introduit dans un salon nous fûmes très reconnaissants du travail effectué par un ventilateur de plafond, certes un peu bruyant mais si rafraichissant. Quoi qu’on en dise de l’air chaud qui bouge c’est mieux que de l’air chaud qui stagne. Le thé et les biscuits nous furent servis en échangeant les nouvelles, activité longue mais indispensable en Afrique même si l'on s'est quitté la veille.
Une rencontre hors du temps
Bien plus tard nous fûmes invités à nous rendre sur la terrasse où sa majesté allait nous consacrer quelques instants de son emploi du temps chargé. Le roi était vêtu d’un boubou bleu et d’un étrange bonnet que je supposais être l’insigne du pouvoir, la couronne de nos anciens rois. Il était entouré de sa cours, le conseil des sages, une assemblée de vieux messieurs pas plus alertes que nos parlementaires. L’accueil était cordial, le roi s’intéressant tant à nous que je restais un moment frustré de ne pouvoir l’interroger à mon tour. Quelle importance avait notre petite vie professorale comparée à son règne. L’Afrique est une école de patience, je l’oubliais trop souvent, mon tour est venu, naturellement. Le roi était juste poli avec ses invités.
J’appris que ce monsieur régnait sur prés de 100 000 âmes, chiffre je suppose approximatif. Plus intéressant, si le bonnet aux éclats d’argent avait une signification culturelle c’est par la chaise royale que le roi détenait son pouvoir. La chaise, conservée dans un endroit protégé, conservait l’âme des rois défunts, toute une lignée qui siècles après siècles entassait leurs âmes dans le bois dur. Vous vous poserez la même question que moi, qu’en est-il en cas de vol de chaise ? C’est grave, le roi perds son pouvoir jusqu’à l’avoir retrouvée, cela se négocie. Certains dauphins font leur richesse par le vol de chaise royale.
Je découvris que mon élève, que je pensais être le fils n’était pas le fils, mais le fils d’une sœur du roi. Mon interlocuteur royal avait lui aussi été choisi par le conseil des notables entre les fils des sœurs du roi précédent. C’était plus simple semble t-il, le roi ayant beaucoup d’épouses, dont celles du roi précédent, a également beaucoup d’enfants. Cela pourrait déclencher des guerres de successions. On touche du doigt la conception Africaine du mariage, instrument de solidarité familiale ou sociale, assez surprenante pour notre mentalité Européenne.
Le roi recevait des gens toute la journée, il tranchait de nombreux conflits, parfois d’héritage, de terrains mais le plus souvent d’adultères. Les peines en cas d’adultère « normal » n’étaient pas élevées, c’était une amende que le prétendant devait verser au mari et dont le roi décidait le montant. En cas de récidives le roi soupçonnait le mari de se satisfaire de la situation pour en tirer quelques bénéfices, il baissait alors l’indemnité pour décourager les abus. Si la dame refusait de reconnaitre les faits cela pouvait se compliquer, des épreuves étaient prévus pour vérifier la culpabilité, épreuves que même comme absolu innocent je n’aurais pas aimé subir.
L’entrevue à finalement pris fin, le roi devait se consacrer à son travail et à ses sujets. Je le remerciais chaleureusement du temps qu’il m’avait accordé, la seule fois de ma vie que j’ai approché un roi. Au moment de prendre congé il me prit à part pour me demander, en tant que professionnel de l’enseignement, ce que je pensais pour son dauphin du choix entre une université en France ou aux Etats Unis. Quelle habileté, un poisson dans l’eau dans deux mondes différents.
Les pouvoirs traditionnels se superposaient aux pouvoirs administratifs, chacun trouvant sa place avec probablement des luttes continuelles. J’avais demandé au roi s’il pensait que la royauté durerait encore longtemps, sa réponse fût ambigüe pour moi, je vous la livre telle que ma mémoire l’a enregistrée : « Les rois disparaitront peut-être mais la coutume est plus forte que l’on s’imagine »
Encore merci pour ce récit très intéressant qui nous fait voyager. A bientôt !
Merci @zonguin
bonjour @terresco ! super article, on est vraiment avec toi lors de ton récit de la rencontre avec ce roi local ! je viens de découvrir ton blog, je vais m'y plonger ! à bientôt :)
Merci pour le retour @anttn
avec plaisir !
bon weekend à toi @terresco !
Bonjour, merci pour ce récit, fort bien écrit. C'est toujours intéressant de partager des tranches de vie qui sortent du commun et de découvrir en même temps d'autres cultures et style de vie.
Merci de ton commentaire @cryptoyzzy
Merci pour ce passionnant récit.
Merci à toi de le lire @patricklemarie