Dans cette sixième partie nous allons finir de couvrir le premier chapitre de l'introduction avec une discussion sur les protéines des familles HMG-14/-17 et HMG-I(Y) ("high mobility group proteins"). Cette dernière famille nous intéressera plus particulièrement par la suite car possédant une séquence protéique particulière appelée "A.T-hook" ("crochet à séquences A.T").
Si vous voulez lire depuis le début, la première partie est ici: Régulation transcriptionnelle du rétrotransposon copia de Drosophila melanogaster - première partie
Pour ceux qui veulent un peu de contexte à cette thèse, je le fournis dans cet article: Ma thèse de doctorat en biologie moléculaire - les débuts
La famille HMG-14/-17
Les protéines HMG-14 et HMG-17 sont présentes dans tous les tissus chez la plupart des eucaryotes supérieurs, mais n'ont pas été identifiées chez la levure ou autres eucaryotes primitifs. L'analyse de leurs gènes montre qu'ils ont évolué à partir d'un ancêtre commun. Chez l'homme et chez la souris, les pseudogènes processés HMG-14 et -17 forment une des familles les plus larges de rétropseudogènes (Srikantha et Bustin, 1987).
HMG-14 et HMG-17 sont localisées dans le noyau, associées à la fibre de chromatine, avec une préférence pour la chromatine active. Elles sont capables de lier les nucléosomes sans aucune spécificité pour la séquence de l'ADN, ce qui suggère qu'elles sont capables de reconnaître ce complexe nucléoprotéique sur la base de caractéristiques structurales.
La séquence du domaine de liaison au nucléosome a été très conservée au cours de l'évolution. Il faut noter dans ce sens que le mode de liaison aux nucléosomes qui a été proposé pour ces protéines (Alfonso et al., 1994) est amené à interférer avec la liaison de l'histone H1, ce qui dans certains cas a pu être confirmé expérimentalement (Postnikov et al., 1991; Ding et al., 1997).
Certaines modifications post-traductionnelles, comme la phosphorylation, ainsi que la cinétique de leur assemblage aux cotés des nucléosomes influencent les effets de HMG-14 et -17 sur la structure de la chromatine. Il est ainsi intéressant de noter que HMG-17 (mais pas HMG-14) est une cible d'acétylation spécifique pour l'acétyltransférase PCAF (Herrera et al., 1999); page 83) et que cette modification réduit son affinité pour les nucléosomes.
La famille HMG-I(Y)
La famille HMG-I(Y) a été définie principalement à partir de l'étude de ses membres chez la souris et chez l'homme, mais des homologues sont connus dans d'autres espèces (Claus et al., 1994). La protéine D1 chez la Drosophile (Levinger, 1985; Ashley et al., 1989), environ quatre fois plus grosse, est également apparentée aux membres de cette famille.
Les protéines HMG-I et HMG-Y sont produites par épissage alternatif à partir du même gène. Le troisième membre de la famille, HMGI-C, présente des fortes similitudes de séquence avec les deux autres mais est codé par un gène différent.
In vivo, les techniques d'immunolocalisation et de microscopie laser confocale haute résolution ont permis de montrer que les protéines HMG-I(Y) étaient localisées au niveau des séquences SAR (Saitoh et Laemmli, 1994).
Ces observations viennent confirmer les études in vitro montrant que les protéines HMG-I(Y) se lient préférentiellement à des cibles ADN riches en paires A.T, en particulier des séquences SAR isolées, d'où elles peuvent déplacer l'histone H1 (Zhao et al., 1993).
Par ailleurs, des sites de liaison spécifiques pour les protéines HMG-I(Y) ont été également caractérisés à l'intérieur de certains enhancers (Thanos et Maniatis, 1992; Himes et al., 1996).
Du point de vue structural, les protéines HMG-I(Y) présentent un domaine acide en C-terminal et trois domaines de liaison à l'ADN conservés (BD1-3 pour "Binding Domain" 1-3), présentant la séquence consensus "TP-(K/R)(R/K)PRGRP(K/R)K", qui ont été appelés "A.T-hooks" (crochets A.T, Reeves et Nissen, 1990).
Il a été montré que deux A.T-hooks étaient suffisants pour assurer une liaison à l'ADN avec une affinité nanomolaire (Claus et al., 1994) et, plus récemment, qu'un seul A.T-hook était suffisant pour déterminer la spécificité de liaison d'une protéine chimérique contenant également le "HMG-1 box" de HMG-1 (Banks et al., 1999).
Il faut noter que parmi les trois "A.T-hooks" de HMG-I(Y), le premier et le troisième ont une moindre affinité pour l'ADN que le domaine central (dit "de type I") et définissent un A.T-hook appelé "de type II" (Huth et al., 1997).
- le A.T-hook
Clore, G.M., Huth, J.R., Bewley, C., Gronenborn, A.M. Interaction of second AT-hook of HMGA1 with DNA. Side chains and nucleotides are hidden. (Huth et al., 1997)
La structure tridimensionnelle en solution d'un complexe entre une forme tronquée de la protéine HMG-I(Y) et une cible ADN à été résolue par spectroscopie de résonance magnétique nucléaire multidimensionnelle (Huth et al., 1997; pour une représentation schématique voir figure 12, cinquième partie).
Cette étude a confirmé les données précédentes obtenues par des expériences d'interférence à la méthylation (Thanos et Maniatis, 1992). Le domaine "A.T-hook" lie la forme B de l'ADN dans le petit sillon et protège 5-7 pb. Les interactions impliquent un motif central Arg-Gly-Arg (RGR) qui présente une surface concave étroite, en forme de croissant, parfaitement adaptée pour s'insérer dans le petit sillon des suites A.T sans induire une perturbation trop importante dans la conformation de l'ADN. La formation du complexe n'est pas possible lorsqu'une paire G.C se trouve au centre, à cause du volume trop important du groupe -NH2 de la guanine.
Les deux résidus Pro en configuration trans autour du cœur RGR assurent la formation d'autres contacts essentiels entre les groupes phosphate de l'ADN et les chaînes latérales des acides aminés basiques présents en N-terminal et C-terminal du consensus PRGRP. Ce mode de liaison, qui ressemble à celui de certaines drogues comme la distamycine, suggère que les sites de liaison optimum de HMG-I(Y) devraient être centrés autour de la séquence AA(T/A)T (Huth et al., 1997).
Les "A.T-hooks" représentent seulement le quatrième exemple de motif protéique reconnaissant l'ADN uniquement par des contacts dans le petit sillon. Dans les trois autres cas, la TBP, le "HMG-1 box" et le "Integration Host Factor" (IHF, bactérien; Rice et al., 1996), une chaîne latérale hydrophobe, perpendiculaire à l'axe de l'ADN, s'intercale partiellement entre les paires de bases conduisant à un élargissement du petit sillon, un déroulement partiel de la double hélice et à l'apparition d'une courbure dans le trajet de l'ADN. En revanche, la liaison d'un "A.T-hook" préserve la conformation B de l'ADN.
Depuis sa découverte, le "A.T-hook" a été observé dans des nombreuses protéines chez plusieurs espèces. Il se retrouve souvent associé avec des domaines fonctionnels interagissant avec l'ADN ou la chromatine (par exemple des "histone folds", des domaines "chromo", des homéoboîtes ou des doigts à Zn; Aravind et Landsman, 1998).
L'implication d'une partie des protéines possédant des A.T-hooks dans différents processus qui modifient la structure de la chromatine a été mise en évidence, comme c'est le cas pour ARBP (une protéine de poulet dont l'homologue chez les mammifères est MeCP2, la protéine reconnaissant les cytosines méthylées, voir page 83), et qui a été retrouvée associé avec les séquences SAR (Weitzel et al., 1997). Il a été proposé que le A.T-hook pouvait jouer un rôle dans la localisation de ces protéines dans le noyau, par exemple à proximité des séquences SAR (Aravind et Landsman, 1998).
La présence de A.T-hooks aux côtés d'une grande variété de modules protéiques témoigne de son succès au cours de l'évolution (voir page 9). Il est ainsi intéressant de noter que des paires de gènes orthologues ou des paralogues proches se distinguent facilement par la présence ou l'absence de motifs A.T-hook. Par exemple MLL (appelé aussi HRX ou ALL-1; (Slany et al., 1998) en possède, alors que son orthologue chez D. melanogaster, trithorax (page 66), n'en a pas.
Dans des nombreux néoplasmes humains on a observé des translocations chromosomiques conduisant à la formation de protéines chimériques dans lesquelles des domaines "A.T-hook" se retrouvaient fusionnés avec des séquences peptidiques diverses (Hess, 1998). Dans certaines leucémies lymphoïdes aiguës, on retrouve une protéine de fusion HRX-ENL dont le potentiel transformant requiert la présence des A.T-hooks du gène HRX (Slany et al., 1998).
Par ailleurs le domaine A.T-hook a été mis en évidence dans plusieurs protéines qui présentaient d'autres domaines de liaison à l'ADN, comme par exemple la protéine humaine ESE-1 qui contient un motif Ets ou la protéine de souris CTCF1 qui contient des doigts à zinc. Ceci suggère que, dans certains cas, le A.T-hook pourrait servir comme un élément auxiliaire, un point d'ancrage dans le petit sillon qui coopérerait avec un autre domaine de liaison à l'ADN et favoriserait ses contacts dans le grand sillon.
Différents types d'expériences (revues par Bustin et Reeves, 1996) ont montré que la liaison de HMG-I(Y) à l'ADN introduit des super tours, courbe et déroule partiellement le substrat. Etant donné le mode de liaison du A.T-hook (qui, lui, ne déroule pas l'ADN), l'explication physique la plus probable de ce phénomène est la neutralisation asymétrique des charges des résidus phosphate sur une seule face de l'hélice de l'ADN (Strauss et Mahler, 1994).
Des études ultérieures ont montré que HMG-I(Y) ne se lie pas à toutes les séquences riches en A.T avec une affinité égale et qu'elle pourrait également reconnaître la structure de l'ADN. Ainsi il est intéressant de noter que in vitro, HMG-I(Y) a également la capacité de reconnaître et de se lier préférentiellement à certaines structures comme les plasmides super enroulés, les nucléosomes isolés (Reeves et Nissen, 1993) ainsi que les jonctions quadripartites (4H DNA, quatrième partie).
La liaison aux nucléosomes se fait indépendamment de la séquence de l'ADN et implique aussi bien des interactions protéine-ADN que protéine-protéine. Plusieurs arguments suggèrent que l'association se fait au point d'entrée et de sortie de l'ADN de la particule nucléosomale, d'une manière similaire à celle des protéines HMG-14 et -17 (Reeves et Nissen, 1993) et de l'histone H1. L'affinité de HMG-I(Y) pour les nucléosomes est cependant moindre que pour les substrats A.T nus.
Les jonctions quadripartites constituent un autre substrat pour lequel HMG-I(Y), l'histone H1 et cette fois HMG-1 sont susceptibles d'être en concurrence. Des études récentes on montré que l'affinité de ces protéines pour les 4H DNA était différente, HMG-I(Y) se liant le plus fortement, suivie par l'histone H1 et ensuite par HMG-1 (Hill et Reeves, 1997).
Le mode de liaison de ces trois protéines est différent lui aussi, HMG-I(Y) et HMG-1 contactant directement le point de branchement, aussi que les bras, de manière asymétrique, alors que le domaine globulaire de l'histone H1 se lie exclusivement aux bras du substrat sans contacter le point de jonction (Hill et al., 1999).
Dans ce chapitre, nous avons dressé un tableau (non exhaustif) de l'organisation de l'information génétique dans le noyau eucaryote. Il nous permettra d'introduire les concepts de base de la régulation transcriptionnelle chez les eucaryotes et surtout de présenter et discuter les résultats qui constituent l'objet de ce mémoire.
Nous avons fini le premier chapitre de l'Introduction (47 pages A4) et nous retournerons dans le Chapitre II vers un sujet différent et non moins intéressant, la régulation de la transcription par l'ARN Polymérase II
Pour la suite, le Chapitre II commence ici.
Alfonso, P.J., Crippa, M.P., Hayes, J.J., and Bustin, M. (1994). The footprint of chromosomal proteins HMG-14 and HMG-17 on chromatin subunits. J.Mol.Biol. 236, 189-198.
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